De l'incarné au visible et du désincarné à l'invisible
À partir de nombreuses séances de communications spirites, ou devrais-je dire stations à la manière soufie vers la néantisation الفناء , comme nouvelle forme d'interprétation de la communication entre les esprits, j'en arrive aujourd'hui à synthétiser ma vision du nouveau spiritisme.
Elle me semble, en effet, en train de se mettre en place dans une syntonie entre esprits, incarnés et désincarnés et pour cela nous devons désormais plutôt parler pour être plus exacts : visibles et invisibles.
C'est une première approche du spiritisme postmoderne qui, comme toute primeur, reste plutôt une ébauche dont l'intérêt est l'éveil des sens que leur fixation sur un objet précis et identifié d'étude.
Et d'abord, pourquoi postmoderne? Parce que c'est l'air du temps, l'ère que nous vivons, même si d'aucuns contestent le vocable, lui substituent un autre comme hypermodernité ou refusent de considérer finie la modernité, ne voyant dans la postmodernité qu'une construction plus théorique que pratique, une illusion d'optique.
Or, justement, même si l'on fait nôtre cette dernière contradiction portée à la réalité de la postmodernité, même si on admet qu'elle est une illusion, ne serait-ce pas alors vivre une illusion, vivre dans l'illusion? Mais qu'est-ce notre vie actuelle d'incarnés sinon une illusion?
En spirites, ne croyons-nous pas que la vie est au-delà, que la mort est la réalité qui vient souligner justement le caractère bien illusoire de notre vie? En cela donc, la postmodernité, qu'elle soit réalité ou illusion, est bien la caractéristique actuelle de notre époque qui assume la contradiction et l'opposition faisant des contraires une complémentarité allant même jusqu'à inverser les perspectives dans une pensée contradictorielle où le faux peut être vrai sinon est le vrai et ce dernier n'est que le faux supposé vrai et pris pour tel. C'est la dialectique de l'apparent et de l'inapparent, du visible et de l'invisible.
L'incarné est donc le visible, car si on est incarné, on peut n'être pas moins désincarné ou le devenir moyennant une ascèse spirite et une hygiène de vie qui épuisent en nous les constituants matériels, pollinisant notre composante immatérielle, notre seule et véritable individualité qui est spirituelle.
Aussi, on peut être à la fois incarné et désincarné, visible et pratiquement transparent grâce à nos qualités morales qui ne sont que la matérialisation moindre sinon nulle de notre condition humaine et la spiritualisation maximale de nos qualités spirituelles.
Il en va de même pour un être désincarné en cette ère postmoderne qui sera celle de la rencontre des contraires, de l'harmonie entre les différents plans des réalités, la syntonie entre réel et irréel, visible et invisible, rationnel et irrationnel.
En effet, le désincarné peut être en relation constante avec l'incarné, en pensée surtout, mais aussi en se faisant visible. L'accent étant mis sur la communication à outrance, et c'est déjà la caractéristique de nos sociétés de la communication, le monde virtuel y ayant acquis une importance capitale au point d'y avoir un passage réussissant un quasi-va-et-vient entre virtuel et réel, le virtuel devenant réel et le réel n'étant souvent que virtuel, et on le voit concrètement avec le Printemps arabe et plus particulièrement au laboratoire de la postmodernité qu'est actuellement la Tunisie.
Le plan désincarné est donc le plan invisible et le plan incarné et celui du visible, sachant que les deux plans ne sont deux que par commodité de langage, car ne formant qu'un seul où le réel, le tangible peut être invisible à nos yeux comme c'est le cas avec l'air ou tout ce qui n'est, par exemple, visible qu'à l'ultramicroscope de tant de réalités de notre vie, et où l'invisible n'est plus de l'ordre de l'inexistant ou de l'irrationnel.
C'est ce qu'on appelle en sociologie, reprenant le terme à la psychiatrie, de coenesthésie ou cénesthésie, et qui n'est que l'impression générale d'aise ou de malaise donnée par l'ensemble des sensations internes.
Un autre terme, un néologisme proposé par le sociologue Michel Maffesoli, est bien adapté à la situation; c'est celui d'écosophie qu'il propose comme substitut à celui galvaudé d'écologie et qui nous ramène à notre mère terre tout en nous élevant dans notre spiritualité.
Michel Maffesoli prône en effet un retour à l’essentielle nature des choses, à «l’invagination du sens» consistant, dans une sensibilité non seulement écologique mais simplement humaniste, à prendre soin de la «Terre Mère», en faire le fondement même de tout être ensemble. Cela accompagne de son point de vue une véritable mutation anthropologique qui est en cours en notre postmodernité qui nous fait sortir du rationalisme classique fait de mépris de la Terre et la dévastation du monde, héritage de la modernité ayant consisté en une mobilisation à outrance de l’énergie, individuelle et collective, vers un paradis céleste ou un paradis terrestre illusoires, pour une façon nouvelle d'être faite d'une raison sensible, d'ajustement succédant à la domination, dans un réapprentissage de la sagesse et de la modération qui sont la caractéristique de la «nature des choses».
N'est-ce pas là le sens de notre visibilité qui est cet enracinement dans la terre, cet humus matériel qui nous fait sans exclure une dépendance du ciel, de tout ce qui est éthéré en notre être et qui permet l'épiphanie, en nous, de l'esprit qui n'est visible qu'au contact de la glaise, mais qui n'est lui-même que dans l'air invisible?